Alors que les tensions sur le marché immobilier français ne cessent de se renforcer face à la hausse des prix et des carences au niveau de l’offre de logements, les pouvoirs publics cherchent à refroidir des logiques locatives de plus en plus inégalitaires et discriminatoires.
Le marché immobilier français fait face à une crise sans précédent au niveau de la hausse des prix et des carences de logement. Ici, des bureaux à louer à Paris • Crédits : FRED DUFOUR — AFP
Le logement, considéré comme un «droit fondamental» depuis la loi Quillot de 1982 apparaît comme une ressource de plus en plus rare et surtout de plus en plus chère. Alors que les prix des logements ont augmenté de 22% entre 2010 et 2020, le «taux d’effort» du loyer (le poids des dépenses de logement dans le revenu des ménages) a connu également une forte hausse pour devenir le premier poste de consommation des foyers les plus modestes, devant l’alimentation.
Les jeunes, premiers touchés par la hausse des loyers
Si 60% de la population française est propriétaire (plaçant la France en 22ème position sur les 27 pays de l’UE), les locataires, principalement des jeunes aux revenus relativement faibles, sont en première ligne face à l’emballement d’un marché de l’immobilier dont les prix ne cessent de monter et la disponibilité de décroître.
On a une génération précédente qui a bénéficié d’une diminution des taux d’intérêt et de l’allongement des durées d’emprunt, ce qui a permis de démultiplier ses capacités d’investissement. Cependant, à l’heure actuelle, les prix de l’immobilier ont beaucoup augmenté et ces personnes se retrouvent avec des biens qu’ils ont initialement acheté peu chers, mais qu’ils peuvent aujourd’hui revendre à des montants beaucoup plus élevés. Cette situation bloque donc le parc immobilier, d’autant que les jeunes n’y ont plus accès étant donné qu’ils n’ont pas les moyens d’acheter. Il y a donc ici une véritable question de solidarité intergénérationnelle qui se pose. Jean-Benoit Eyméoud
Ce phénomène s’explique en grande partie au travers du phénomène de «métropolisation» de la société française : alors que la tertiarisation de l’économie se poursuit, les bassins d’emplois attractifs se concentrent aujourd’hui majoritairement dans les villes. Ainsi, face à l’arrivée massive de populations, l’accès au logement dans les grandes villes du pays s’est raréfié, bien que la crise sanitaire ait quelque peu limitée ces mouvements.
Derrière cette tension au niveau des prix de l’immobilier, se cache une dynamique économique sous jacente très profonde. Historiquement, lorsque l’on travaillait au sein d’une société industrielle, il n’y avait pas vraiment d’avantages comparatifs à être dans une grande ville. A partir des années 1970, le développement d’une économie basée sur les «idées» a fait qu’il valait mieux être entouré de personnes qui travaillent dans des secteurs qui sont proches des nôtres, afin d’être davantage innovants, productifs et de gagner des parts de marché. Mécaniquement, ce qui s’est passé, c’est que les emplois ont été par la suite créés dans les grandes villes. En France, depuis 2007, 3/4 des créations d’emplois sont concentrées sur douze aires urbaines. Donc, on a un grand mécanisme de concentrations, d’agglomérations, principalement lié aux externalités positives qui conduisent les individus et les entreprises à aller plus dans les villes. Jean-Benoit Eyméoud
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Le marché de l’immobilier déconnecté des revenus réels
Dans le même temps, au cours des années 2000, les prix de l’immobilier se sont peu à peu déconnectés des revenus réels des ménages, alors qu’ils suivaient une progression similaire tout au long du XXe siècle. Entre 2000 et 2018, le prix des appartements a été multiplié par trois à Paris et Lyon et par deux à Marseille. Ce mouvement haussier a donc transformé les habitations en biens spéculatifs pour de nombreux acteurs financiers, alimentant de nouveau une augmentation des prix.
Au niveau des marchés locatifs privés, c’est paradoxalement dans les zones les plus chères que l’offre de logement à tendance à se réduire. On pourrait imaginer que dans les grandes villes, on a un marché locatif abondant. Ce n’est pas le cas. À Paris, par exemple, le logement locatif privé a baissé de l’ordre de 17% depuis 20 ans. Etant donné qu’il y a moins d’offres de logements disponibles, il est donc plus difficile de trouver un logement mais entraine aussi un certain immobilisme au niveau des locataires qui font le choix de rester le plus longtemps possible à l’endroit où il loge. Cependant, face à cette situation, vous avez une demande qui est toujours aussi dynamique. Cela augmente ainsi mécaniquement le prix des logements. Pierre Madec
Selon une enquête de Médiapart, la société foncière Gecina est ainsi devenue le principal propriétaire privé de logements à Paris et détient un patrimoine immobilier de plus de 20 milliards d’euros. Le marché devient donc de plus en plus opaque, financiarisé et orienté vers la recherche de profits.
Paradoxalement en France, la crise économique de 2008 est apparue comme un accélérateur du décalage entre prix et revenus étant donné que le pouvoir d’achat des ménages a diminué de manière plus importante que le retournement du marché immobilier. Cette situation fragilise en premier lieu les populations les plus précaires et les jeunes, alimentant ainsi une colère sociale dénonçant ce décalage et cette déconnexion.
Les mesures se heurtent au système
Face à cette situation locative qui limite la mobilité des jeunes, la fluidité économique de la société et qui renforcent les inégalités sociales, les pouvoirs publics cherchent donc à refroidir cette machine immobilière. Que ce soit au travers d’une action directe sur la demande via des aides au logement (APL) ou sur l’offre, par l’encadrement des loyers (la Loi ALUR) ou des avantages fiscaux, l’action publique en faveur du logement apparaît comme légitimée, notamment au regard de nombreuses études qui ont mis en avant des liens de causalité forte entre réussite scolaire et manque d’espace au sein de son lieu de vie.
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Cependant, des limites fondamentales se présentent face à son action : les bailleurs privés ont du mal à respecter l’encadrement des loyers (40% d’entre eux dépassent de 121 euros les plafonds fixés), les logements vacants se multiplient et les aides personnalisées en faveur de la demande semblent au contraire participer à la hausse des prix. Les mesures en faveur d’une plus grande mobilité des résidents et d’une meilleure qualité de vie au sein des logements semblent donc être limitées par la structure même d’un système peu enclin aux réformes malgré ses dysfonctionnements.
Les dispositifs d’incitation à l’investissement locatif, comme la Loi Pinel, ne sont pas capables de savoir si un logement respecte ou non la réglementation en vigueur sur l’encadrement des loyers. Il faudrait qu’il y ait une véritable révolution des données afin de mieux savoir ce qui se passe sur les marchés. Pierre Madec
Pour parler du marché immobilier et de son évolution, nous avons le plaisir de recevoir Jean-Benoît Eyméoud, économiste au Laboratoire interdisciplinaire d’évaluation des politiques publiques (LIEPP) de Sciences Po et Pierre Madec, économiste à l’OFCE, co-auteur avec Jean-Claude Guéant de « Les crises du logement ».