La crise du logement en France et la réaction du mouvement social

La crise du logement en France et la réaction du mouvement social

Cette fiche dresse un bilan critique de la Politique de ville travers la question du logement mais aussi des mouvements sociaux. Rdige rcemment aprs les meutes urbaines de 2005, elle invite changer de regard sur la banlieue et les quartiers pour essayer de comprendre plutôt que de juger.

La crise du logement en France

La crise du systme du logement social en France se situe trois niveaux :

sa logique de fonctionnement nest plus adapte et la ngociation politico-institutionnelle ne donne plus les mmes rsultats, quantitatifs et qualitatifs, que dans le pass;

les politiques de march sont contraires aux besoins de construction et daccs du logement social ;

des secteurs sociaux entiers sont exclus de toute possibilit daccs formel.

Dans ce cadre, la mobilisation sociale devient un moyen pour trouver des solutions aux questions du logement ; laction directe et la cration dun rapport de force cessent alors dtre un lment marginal pour faire avancer les revendications.

Le mal-logement en France

Le systme de logement social a t conçu pour une population salarie, avec un emploi stable, alors mme que nous nous situons dans un processus dclatement du march du travail qui dure maintenant depuis plusieurs dcennies : chômage, instabilit, sgrgation, prcarit, travail au noir , emploi de limmigration clandestine

Le march ne permet pas aux secteurs sociaux bas revenus (ni revenus moyens), daccder un logement. La demande adresse au systme de logement social ne peut pas tre satisfaite. La crise du logement social actuelle est gnrale et se manifeste de diffrentes manires dans le logement populaire social ou de fait . La mobilisation sociale autour de cette crise est aussi diverse.

Les situations de mal logement sont devenues courantes. Le rapport de la Fondation Abb-Pierre sur le mal logement en France indique que le pays compte plus de 3 millions de mal-logs dont les deux tiers vivent dans des conditions de logement trs difficiles, dpourvus de confort de base (absence de salle deau, de WC, de systme de chauffage, etc.), et en situation de surpeuplement.

Dans ce contexte de pnurie de loffre, le phnomne de lhbergement prend une place de plus en plus importante et concerne dsormais un tiers des mal logs 1 .

La pnurie de logements accessibles saccompagne alors dune rduction de la mobilit rsidentielle des mnages les plus modestes et de lmergence dun habitat de relgation pour ceux dentre eux qui cumulent les handicaps (dont celui dtre issus de limmigration ou dtre perçus comme tels) 2 .

En rsum, le systme du logement social est en crise :

Dune part, un nombre de familles de plus en plus important nayant pas accs au systme de logement social, se trouve mal log.

Dautre part, les insuffisances, manques et dysfonctionnements du systme lui-mme gnrent un nombre important de demandes insatisfaites auprs dune population qui en principe runit les conditions pour avoir accs au systme. Par exemple, on estime que dans la ville de Paris plus de 100.000 personnes sont en attente dun logement HLM .

Par ailleurs, la crise est affecte par la dgradation des ensembles de logements sociaux existants, par le phnomne des quartiers difficiles ou en difficult . Certains de ces ensembles construits il y a 50, 40 ou 30 ans concentrent une population connaissant de graves problmes sociaux, lis la discrimination sociale, au chômage et la prcarit chaque jour plus importante. Le logement social, au lieu dtre un lment d intgration sociale sest transform en un lment de marginalisation.

La problmatique du logement social rsulte alors de multiples facteurs :

une insuffisance quantitative en termes de construction de logement social,

un manque dadaptation du type de logement construit aux besoins de la population,

une dgradation des logements et des ensembles existants,

une impossibilit daccs dune partie de la population au systme parce quelle ne runit pas les conditions juridiques et conomiques,

une insuffisance ou une absence de services publics. Le logement social ne facilite pas laccs la ville .

de politiques publiques errones, dadaptation au march, de financements insuffisants.

de politiques territoriales municipales qui rejettent, ou tout du moins ne promeuvent pas, la construction de logement social et surtout qui rejettent la population exclue du systme et nenvisage pas la recherche de solutions dcentes pour cette population.

Le renouvellement urbain : une rponse la crise du logement ?

Dans ce contexte, le renouvellement urbain est retenu par le gouvernement comme axe structurant de la politique publique actuelle de la ville, revenant sur des annes de Politique de la ville soucieuse dintgrer un volet social toute opration, avec les limites qui lui ont t opposes.

Dans le cadre des lois de programmation sur la ville et du plan de cohsion social, il est prvu pour la priode 2004-2008 la dmolition de 250000 logements. Ces dmolitions sont finances par lAgence Nationale pour la Rnovation Urbaine (ANRU).

Aprs 20 ans de Politique de la ville axe sur la rhabilitation et laction sociale, lANRU, a dsormais pour objectif dagir sur le bâti et la structure urbaine en concentrant des fonds importants sur un nombre limit de projet. La politique de la ville concentre son action sur lurbain, laction sociale est contractualise avec les collectivits locales et dcentralise.

Le projet de renouvellement urbain est port par les municipalits qui sollicitent un financement auprs de lANRU.

Lide porteuse du renouvellement est la redfinition du tissu urbain en dsenclavant les quartiers en difficult et en librant du foncier 3 .

Ces dmolitions posent la question de savoir qui sera log dans les nouveaux logements produits et celle des modalits et des conditions de relogement des mnages dplacs , car aucune contrainte nexiste concernant la nature (logements trs sociaux ou intermdiaires) et le statut (locatif ou en accession) des nouvelles constructions. Les premires expriences montrent mme que la volont des lus va dans le sens dun changement le plus radical possible du quartier : on dtruit essentiellement des logements dits trs sociaux et donc accueillant une population peu fortune, des familles nombreuses, pour reconstruire des logements locatifs ou en accession la proprit dits intermdiaires, accueillant ainsi une classe moyenne voire moyenne-haute.

Les acteurs du logement sont sceptiques, voire inquiets, face ces mesures, dans un contexte o la ncessit daccrotre loffre de logements pour tous et plus spcifiquement pour les plus modestes est criante. La question du relogement des familles, familles nombreuses notamment, est ici centrale.

Des amicales de locataires, collectifs dhabitants, associations de solidarit, syndicats et autres se mobilisent. Cela concerne des quartiers qui ont t abandonns par les pouvoirs publics et lensemble des erreurs politiques et technocratiques est report aujourdhui sur ces habitants stigmatiss. Une coordination de collectifs dhabitants mobiliss contre les dmolitions a t cre dans la rgion parisienne pour sopposer des oprations de rnovation comprises comme le dlogement de lhabitat et ldification de quartiers destins des autres. Les habitants, se sentent ignors et considrent que les choix des maires se font globalement sans concertation avec les habitants [] les gens perdent leur logement mais aussi leurs liens familiaux et sociaux . Ils ont le sentiment que cest souvent une carte blanche pour disperser les familles problme et que cela concerne des quartiers qui ont t abandonns par les pouvoirs publics et lensemble des erreurs politiques et technocratiques est report aujourdhui sur ces habitants stigmatiss .

On assiste une mutation des formes de lintervention publique sans rgulation du march. Il sagit de politiques dure dtermine (8 ans pour lANRU), menes par une agence au statut dtablissement public et non par un ministre, qui contractualise avec les collectivits territoriales pour agir momentanment sur une problmatique prcise. Il ny a plus de politique structurelle du logement. La nouveaut de ces politiques porte galement sur le rapport public-priv. Contrairement la Politique de la ville qui combinait lintervention sociale, la concertation, le rôle des associations la nouvelle politique conduit dmolir les grands ensembles des quartiers pour faire disparatre les problmes sociaux. La finalit de lANRU est la transformation physique des quartiers, la question des populations est secondaire.

La raction du mouvement social

Dans ce contexte, le mouvement social sest manifest en un ensemble de ractions diverses, nombreuses, disperses territorialement, par le biais dassociations locales, de mobilisations et dinterpellations des municipalits et dopposition aux politiques publiques.

La situation est actuellement en train de changer. Les dbats autour de laccs au logement social, des subventions publiques, de la quantit et de la situation des logements construire, sexprimaient historiquement travers des revendications et des conflits qui se ngociaient comme une part du salaire indirect , travers laction des syndicats, municipalits, partis politiques de gauche et associations lies ces structures.

Le mouvement social français pour le logement repose sur des traditions diverses :

des associations lies la gestion du logement HLM et aux partis de gauche ;

des associations caritatives, autour notamment du courant ATD quart monde ;

des associations de lutte des mal logs qui confluent plutôt avec les analyses du mouvement altermondialiste et qui revendiquent lautonomie par rapport aux partis politiques et ltat et laction directe ;

des associations de gestion qui jouent le rôle dinterface entre la population et les pouvoirs publics, avec des techniques dintervention urbaine et dingnierie sociale.

Il existe actuellement une tendance lunification dans une plate-forme commune de la lutte par le logement et la confluence de mouvements de culture et danalyse diffrentes. Le mouvement de confluence entre la lutte des mal- logs , les habitants des cits HLM et autres secteurs sest manifest diverses occasions : depuis le Forum Social Europen de 2003 Paris-Saint Denis et dans la lutte actuelle contre les dmolitions de logements sociaux.

Les vnements de septembre de 2005, savoir les incendies de deux immeubles-taudis Paris qui ont provoqu le dcs doccupants de logements, suivis dexpulsions dhabitants dautres taudis, demandes par le Ministre de lintrieur, a donn lieu llaboration dune plate-forme commune de plus de 60 associations, (et qui inclut galement des partis politiques de gauche). Deux grandes manifestations ont eu lieu Paris.

Ce rapprochement est rendu visible par la participation notamment de lassociation DAL (Droit au Logement), syndicat de mal-logs et de lassociation CNL (Confdration National du Logement), syndicat de locataires qui regroupe des habitants des logements HLM et qui participe la gestion des Offices.

Mal logs et habitants des logements HLM considrent que le logement social est gravement menac et quune importante partie de la population vit dans des conditions insupportables, sans perspectives immdiates daccs un logement dcent. Considrant que le systme de logement social ne remplit pas ses fonctions et a cr une situation dexclusion sociale et territoriale, ils tentent daborder ces problmes ensemble, travers une plate-forme revendicative et des actions directes, comme les occupations et lopposition aux dmolitions, qui inclue les points suivants :

larrt de toutes les expulsions, la rquisition et la rhabilitation des logements vacants ; la fin de la spculation immobilire, foncire et des ventes la dcoupe ; le relogement immdiat de tous les habitants dimmeubles et locaux dangereux et insalubre, sans discrimination.

le gel des loyers et des charges et la revalorisation des allocations logement.

la construction massive de vrais logements sociaux et la mobilisation dans ce but de tous les patrimoines fonciers et immobiliers publics, dont ceux de lEtat.

la lutte contre la marchandisation du logement social : le gel des dmolitions, larrt de la vente des logements sociaux, le blocage de la drglementation des loyers HLM et de la remise en cause des modes de financement, larrt de la privatisation des bailleurs sociaux et de la mise en cause du statut des HLM et de leurs locataires, le retour la vocation sociale de tous les logements publics.

la cration dun service public du logement, gr dmocratiquement, disposant de financements prioritaires de lEtat, pour loger chacun et chacune dcemment sur tout le territoire de notre pays. Cette revendication rejoint notamment le mouvement des municipalits communistes.

la mise en œuvre dun vritable droit au logement opposable, qui rejoint la revendication principale du mouvement caritatif.

Des dbats difficiles existent sur le fait douvrir ou non le systme HLM a toutes les catgories de salaires, y compris aux salaires levs. Certaines approches demandent une concentration et parfois une exclusivit de lattribution dHLM pour les plus dmunis. A loppos, dautres insistent sur la mixit sociale et la possibilit et ncessit que les salaris les plus aiss accdent aussi aux ensembles HLM, aux lieux de sisoler dans des quartiers pavillonnaires.

Le rôle des associations, productrices et gestionnaires de logement social, menant des missions de dlgation de service public, est galement pose. Dans un contexte de crise o lhbergement durgence, qui peut durer jusqu plusieurs annes dans les faits, occupe une place de plus en plus importante et dans des conditions de confort trop souvent inacceptables, la question de la dpendance lgard des financements et de la commande publique peut se poser, ainsi que celle des conditions de plus en plus en difficiles dans lesquelles ses associations dinsertion doivent intervenir. La question du logement social spcialis (foyers pour travailleurs immigrs ou tudiants par exemple) doit galement tre aborde.

Le dbat qui sinitie dans le mouvement social en perspective de lchance des lections prsidentielles de 2007 peut tre un espace de dialogue et de construction des convergences.

1 Le rapport estime, sur la base des travaux de lInsee (Travaux de lInsee raliss partir de la comparaison des enqutes Logement de 1996 et de 2002, dans Rapport sur le mal-logement en France, 2005, Fondation Abb Pierre) et de ses propres estimations, qu on peut valuer entre 150 000 et 300 000 le nombre de personnes hberges chez des tiers faute dautres solutions et qui vivent dans des conditions de logement peu acceptables []. De fait, ce sont dabord les personnes les plus pauvres, les titulaires de minima sociaux qui recourent lhbergement chez un proche, mme si le phnomne stend aujourdhui dautres catgories de population et touche notamment de plus en plus de salaris (1/3 des SDF occupent un emploi, temps partiel ou complet).

2 Rapport sur le mal-logement en France, 2005, Fondation Abb Pierre

3 15 35 % de chaque opration est destin un oprateur priv, gestionnaire du 1 % patronal (taxe paye par les entreprises pour financer des logements sociaux pour leurs employs). En change du financement de 50 % de lAnru (500 millions deuros) des terrains sont rcuprs sur chaque opration pour construire du logement social dit intermdiaire ou du locatif libre.

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