Le droit au logement opposable en France

Le droit au logement opposable en France

Le droit au logement est une question fondamentale de l’organisation de la vie en société mais reste pourtant une notion fragile en droit, étant donné son manque de reconnaissance l’insuffisance des garanties de sa mise en œuvre.

Face à l’ampleur actuelle de la crise du logement, les pouvoirs publics ont décidé de renforcer le droit au logement en le rendant « opposable » par un mécanisme de justiciabilité : il s’agira pour un demandeur de logement jugé prioritaire par la commission de médiation d’user d’un recours spécifique contre l’Etat pour obtenir un logement.

La loi de 5 mars 2007 dite DALO permet-elle de rendre enfin effectif le droit au logement?

Il s’agira d’étudier les conséquences de la loi du 5 mars 2007 en France sur le droit au logement.

Abstract

The Housing Right is an essential issue in society but it remains weak in the law : it lacks of acknowledgement in the legal order and it lacks of legal protection and of applicability.

Because the housing crisis was becoming very concerning, the government decided to act and created the « opposability » of the housing right, by the 5th March of 2007

Act.Consequently, a homeless person would be able to sue the State, in order to make his housing right respected. But, will this law make the Housing Right efficient ?

This dissertation deals with the consequences of the 5th March of 2007 Act on the
Housing Right in France.

Remerciements
A André Vianès et à Bernard Devert pour leur intérêt dans mon travail et leur participation à mon jury,
à Hélène Surrel pour m’avoir transmis le goût du raisonnement juridique,
à Sophie Papaefthymiou pour m’avoir ouvert les portes de la Théorie du droit,
à Adeline Firmin pour avoir partagé avec générosité ses connaissances et ses informations sur le droit au logement,
à Pauline Rivière ainsi qu’à Clémence Montabonel, Alban Raimbault, Chloé Vidal-Kratochvil et Myriam Poitau, pour leur soutien au cours de cet été,
à Elisa Téton pour ses conseils avisés,
à Anne-Sophie Zika pour ses relectures attentives et ses attentions patientes,
et à ses amis bretons (et tout particulièrement Véronique Le Hir et Anne Pellen) pour les conditions de travail idéales dont j’ai pu bénéficier pendant la rédaction de ce mémoire,
à Brigitte Zimmermann, Maxon Schulze, Françoise et Claude Sitaire pour leur confiance et leur appui inconditionnel…

Introduction

Aujourd’hui en France, plus de 100 000 personnes vivent dans la rue, un million et demi de personnes n’ont pas de logement et trois millions de personnes sont considérées comme mal-logées.1

Le retard dans la construction de logement, l’augmentation des prix et donc du taux d’effort des ménages, le blocage de la mobilité résidentielle sont les éléments d’une crise du logement qui n’a jamais été aussi aiguëdepuis août 1944, selon des statistiques récentes.2

Mais, du temps des taudis au XIXème siècle au campement du canal Saint-Martin en passant par l’appel de l’Abbé Pierre, le marché du logement en France est régulièrement en crise. Les phénomènes découlant de l’inadaptation chronique de l’offre à la demande de logement ont donc conduit les pouvoirs publics à intervenir.

Depuis le début du XXème siècle, l’Etat a tenté de réguler le logement au travers différents types de politiques, accumulant année après année de nouvelles dispositions législatives.

Peu à peu, ces politiques du logement ont fait émerger un ensemble de règles encadrant l’accès au logement, et multipliant les dispositifs.

Mais le droit au logement, défini comme « le droit de disposer d’un local à usage3 d’habitation qui soit conforme au respect de la dignité humaine », n’est apparu que très tardivement dans la législation française.

En effet, le droit au logement est un droit fragile, dont la reconnaissance et l’application restent encore partielles.

Pourtant, comme l’affirmait Paul Bouchet, le président dATD-Quart Monde, « le droit au logement est un droit nodal, à la croisée de tous les autres droits fondamentaux ».

En effet, l’accès au logement conditionne la jouissance de nombreux droits. Car un logement ne fournit pas qu’un toit mais aussi une adresse qui permet de bénéficier de prérogatives tels que le droit de vote, l’accès aux soins, à l’éducation, à l’emploi, à l’aide social…

De plus, les difficultés d’accès au logement ont des conséquences très profondes dans la société.

Le mal-logement est souvent un obstacle à l’insertion professionnelle car un logement instable dissuade les employeurs (et inversement un emploi précaire rebute les bailleurs).

De plus, les mauvaises conditions de logement ont des conséquences sur l’état de santé : l’insalubrité peut créer du saturnisme mais elle entraîne également la dégradation générale de la santé physique et mentale (espérance de vie moins longue, plus grande probabilité de cancers et de maladies respiratoires).

Le mal-logement pèse sur la cellule familiale. La promiscuité et l’état dégradé des logements ou l’hébergement chez des proches privent des moyens matériels et humains nécessaires à la constitution d’un environnement familial épanouis.

De plus, le mal-logement favorise l’échec scolaire et l’inégalité des chances.4

1 Les chiffres du mal-logement en France, p. 131
2 BERNARD Nicolas, « Le droit au logement opposable vu de l’étranger : poudre aux yeux ou avancée réelle ? » , Revue de Droit Public, 2008, n°3
3 CROQ Pierre, « le droit au logement » in Libertés et droits fondamentaux, CABRILLAC Rémy (dir.), 7ème édition, Paris, Dalloz, 2001. 6 Johnstone Elsa – 2008

Par conséquent, le mal-logement apparaît comme un facteur puissant de « disqualification sociale »,plaçant les individus dans un « statut social spécifique, inférieur et dévalorisé, marquant profondément leur identité». 5

Malgré l’enjeu que représente le logement dans la société, le droit au logement suscite certaines réserves dans l’ordre juridique.

En effet, le droit au logement peine à démontrer son effectivité. Essentielle au fonctionnement du système juridique, la notion d’effectivité pose la question de l’application réelle d’une norme, et de la production de l’effet voulu. Le terme effectivité vient du latin effectivus , « actif », « qui produit ».

La notion effectivité permet donc d’évaluer « le degré de réalisation dans les pratiques sociales, des règles énoncées 6 par le droit » .

Cette aspiration à l’effectivité du droit au logement a fait l’objet de revendications politiques. A la fin des années 90, des associations avaient revendiqué la création d’une Couverture Logement Universelle, idée reprise lors de la campagne présidentielle de 2002, dans le programme de Lionel Jospin.

Par la suite, la revendication d’un accès universel au logement a pris la forme d’un droit au logement opposable. En 2003, une cinquantaine d’association ont constitué une plateforme nationale pour un Droit Au Logement Opposable.

Suite à une mobilisation particulièrement importante des mal-logés et des sans-abri au cours de l’hiver 2006, le droit au logement opposable a trouvé un certain écho dans la société française.

Reprise par différents partis politiques lors de la campagne pour les élections présidentielles de 2007, la mise en place d’un droit au logement opposable fut soutenue par le président de la République Jacques Chirac lors de ses vœux du 31 décembre 2006.

Le 17 janvier 2007, le Conseil des Ministres adoptait un projet de loi instituant le droit opposable au logement, portant diverses mesures en faveur de la cohésion sociale.

Il comportait alors cinq articles relatifs au droit opposable au logement : le premier réaffirmait l’existence d’un droit au logement, les articles 2 et suivants visaient à exposer les modalités de mise en œuvre de ce droit.

Le 5 mars 2007, la loi n° 2007- 290 était adoptée, faisant l’objet d’un large consensus au sein du parlement.

Seuls deux mois se sont écoulés pour que l’Assemblée nationale et le Sénat adoptent cette loi et aucune étude d’impact préalable n’a été établie. Au cours des débats, des dispositions nouvelles ont été apportées.

Au total, le texte comporte soixante-quinze articles, regroupés en deux chapitres : l’un est consacré aux «dispositions relatives à la garantie du droit au logement » et le second aux « dispositions en faveur de la cohésion sociale ».

4 GOUX Dominique, MAURIN Eric, « La persistance du lien entre pauvreté et échec scolaire », France portrait social de l’INSEE 2000-2001, p. 87-99
5 PAUGAM Serge, La Disqualification sociale : essai sur la nouvelle pauvreté, Paris, Presse Universitaire de France, 2000
6 ARNAUD André-Jean (dir.), Dictionnaire encyclopédique de théorie et de sociologie du droit, 2ème édition, Paris, Librairie Générale de Droit et de Jurisprudence, 1993

Ainsi, depuis le 1er janvier 2008, une personne qui ne dispose pas de logement peut déposer un recours amiable auprès de la commission de médiation, mise en place dans chaque département.

Puis, si elle a été reconnue prioritaire par la commission de médiation mais qu’aucune offre de logement ne lui a été faite, elle peut saisir le juge administratif. Seules quelques catégories de personnes peuvent bénéficier du recours amiable et pourront dès le 1er janvier 2008 accéder au juge.

A partir du 1er janvier 2012, toutes les personnes éligibles au logement social pourront bénéficier du recours amiable et du recours contentieux crée par la loi DALO.

Le législateur français a ainsi suivi l’exemple de l’Ecosse, précurseur en matière de droit au logement. En 2003, le Parlement écossais sest même vu récompenser par le Housing Rights Protection Award (prix de la protection des droits au logement) suite à sa législation en la matière.

En effet, depuis la loi de dévolution de 19997, l’Ecosse est autonome dans de nombreux domaines dont le logement. Le Housing Act de 2001 et le Homelessness Act de 2003 sont à l’origine d’une politique volontariste de lutte contre le mal-logement, qui offre aux demandeurs de logement des possibilités de recours pour faire appliquer leur droit.

En France, l’opposabilité du droit au logement réside donc dans la possibilité pour une personne en situation d’urgence de réclamer l’application de son droit au logement grâce à un recours juridictionnel.

La mise en œuvre de ce mécanisme a impliqué de la part du législateur une clarification des responsabilités en matière de logement. En effet, la loi DALO induit une reconnaissance par l’Etat du droit au logement.

La revendication pour un droit au logement effectif semble donc avoir pris la forme de la création d’un droit opposable.

Quelles sont les conséquences de cette loi sur l’affirmation du droit au logement ? La loi DALO permettra-t-elle de rendre le droit au logement effectif ?

«Le logement opposable, c’est comme le reste: on promet, mais il n’y a pas assez de logements pour tout le monde de toute façon. Ca va pas être la loi Dalo, ça va être la loi que Dalle»8 soupirait le lendemain de l’entrée en vigueur de la loi, un demandeur de logement dans la file d’attente pour le formulaire de saisine de la commission de médiation.

Parmi les demandeurs de logements et certains acteurs autant associatifs qu’institutionnels, la loi DALO suscite des réserves : comment faire face aux demandes de logements ? avec quels moyens ?

Un comité de suivi de la mise en œuvre du logement opposable a été mis en place le 5 juillet 2007 et les décrets précisant les conditions d’application de la loi DALO ont été publiés en novembre 2007. 9

7 La loi de « dévolution » organise le transfert de l’autorité législative vers des parlements ou assemblées régionales élus au suffrage direct. Le Royaume-Uni a adopté un modèle de dévolution asymétrique : il existe ainsi une dévolution totale du pouvoir législatif en Ecosse, un partage intermittent du pouvoir exécutif en Irlande du Nord, une dévolution de l’« exécutif » au pays de Galles, et aucune institution régionale élue au suffrage direct en Angleterre même.
8 DUVAUCHELLE Antoine, « Ca va pas être la loi DALO, ça va être la loi que Dalle », Libération, mercredi 2 janvier 2008
9 Décret n°2007-1677 du 28 novembre 2007 et décret n°2007-1688 du 29 novembre 2007

Bien que les conséquences de cette loi soient encore difficilement évaluables, quelques tendances ont déjà été observées.

Ainsi, le rapporteur de la mission Ville et logement du Sénat, Phillipe Dallier, pointait dans son rapport le 30 juin 2008 des dysfonctionnements importants dans l’application de la loi : le manque d’informations, l’insuffisance des moyens en préfecture et dans les commissions de médiation, l’inégalité de traitement entre les départements….

La loi DALO est-elle une avancée pour le droit au logement ? Toute conclusion définitive reste pour l’heure encore prématurée mais des réponses partielles peuvent être apportées.

Bien que le contexte politique fut déterminant dans l’adoption de la loi du 5 mars 2007 et bien que les instruments d’évaluation des politiques publiques soient très utiles pour en étudier l’application, il s’agira de se limiter à une approche juridique de cette réforme, en s’appuyant principalement sur un corpus de textes de la doctrine juridique et des rapports institutionnels et associatifs.

Par ailleurs, la loi du 5 mars 2007 n’étant entrée que récemment et partiellement en vigueur, il ne s’agira pas ici d’analyser la loi dans sa totalité.

De même, les dispositions relatives à la cohésion sociale et au droit à l’hébergement n’ont pas été précisément développées afin de limiter le champ d’étude au strict droit au logement.

Enfin, si les exemples européens et notamment celui de l’Ecosse – peuvent éclairer la situation française, il ne s’agit pas d’entreprendre une étude en droit comparé.

Il s’agita d’étudier les conséquences de l’instauration, en France, du droit au logement opposable, par la loi du 5 mars 2007, sur la reconnaissance du droit au logement (I), et sur les garanties de sa mise en œuvre (II).

Table des matières :

Introduction
I. un pas vers la reconnaissance d’un droit fragile
1. Le droit au logement, un droit fragile et insuffisamment protégé
1.1 La faible reconnaissance juridique du droit au logement
1.2. Une protection juridique insuffisante
2. L’opposabilité : une tentative de renforcement du droit au logement
2.1. Un usage détourné de la notion d’opposabilité au service de la recherche d’efficacité
2.2 Les conséquences de l’opposabilité sur la portée du droit au logement
II. Des garanties pour la mise en œuvre du droit au logement
1. Les voies de recours pour la mise en œuvre du droit au logement
1. 1 Le recours amiable
1.2. Les recours contentieux
2. La clarification des rôles dans la mise en œuvre du droit au logement
2.1. L’Etat, garant principal de la mise en œuvre du logement
2.2 Les organismes HLM, véritables débiteurs du droit au logement opposable
Conclusion

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